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  • Photo du rédacteurLeïla

Représentations


Ecrit le 24 août 2016


J’ai des souvenirs très doux, sans doutes adoucis encore plus par le filtre embelliseur du temps qui est passé. Des évocations vives, pleines de couleurs chaudes, de parfums uniques et de sensations de légèreté, d’insouciance et de réconfort tout à la fois. Ces souvenirs sont enfouis bien loin, et de plus en plus difficiles et douloureux à extirper à la surface. J’essaie pourtant de les ramener à moi dans une tentative désespérée de contrer toute la négativité associée à l’image actuelle du pays de mes origines… Mais la réminiscence de la senteur libérée par les fleurs de jasmin les nuits d’été, ou des pains garnis cuits au tannour et grignotés au bord de la route montagneuse menant à Kessab ne peuvent pas grand-chose face à l’image des rivières de sang carmin coulant à même le sol des rues de Douma.


Parce que oui, je parle d’image ici. Quelle importance, face à la violence de la réalité ? Demanderont sans doute certains. Pourtant, l’image et par extension j’entends la représentation de la violence et de la guerre, aussi bien dans les médias que dans les imaginaires individuels et collectifs, sont pour moi des enjeux cruciaux du conflit syrien et inhérents à celui-ci. D’autant plus que, comme nombre d’analystes le font remarquer depuis le départ, il s’agit plus que jamais et de façon inédite jusqu’alors dans l’histoire de l’humanité d’une guerre documentée à l’extrême, une véritable guerre d’images. Images qui font le tour du monde quasi instantanément et influent de manière indicible mais considérable sur les opinions publiques et donc les réactions, sociales, sociétales, politiques, diplomatiques… face aux événements.


Et l’image de ce qu’est la Syrie, la représentation dont on s’en fait aujourd’hui, et surtout le paradoxe total avec ce qu’elle est pour moi, je le vis très directement aujourd’hui.


À tel point que je me sens presque dépossédée. Ayant pourtant le nationalisme en horreur, je vois la Syrie, “ma” Syrie arrachée à moi; tout ce qu’elle représente, aussi bien à mes yeux que dans l’absolu, tordu, défiguré, mutilé et recraché en cette vision sombre et immonde en tous points.


Je ne me complais pas dans ce ressenti que j’ai déjà essayé d’évoquer ici… c’est d’ailleurs ce même ressenti qui m’a laissée muette pendant un an. J’essaie sincèrement d’accepter que cette maudite représentation est simplement le reflet de la réalité telle qu’elle est aujourd’hui, et qu’il ne me reste pas d’autre choix que de m’y faire. Mais je n’y arrive pas. C’est peut être la dernière once de résistance qui me reste : l’incapacité obstinée à me résoudre au chaos.

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