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  • Photo du rédacteurLeïla

Sauve les siens, pas sauve qui peut


Ecrit le 6 octobre 2015


Je n’ai pas posté depuis un moment, et ce n’est pas le fruit du hasard. L’envie d’écrire pour ce blog a été dès le départ intrinsèquement liée au besoin de partager l’espoir sincère (naïf?) qui a toujours été le mien concernant la Syrie. Bien sûr, cet espoir oscillait entre flux et reflux, au rythme des événements de ces dernières années… Et il est vrai que dernièrement l’espoir était plutôt à sec.


Observer ce qui se déroule en Syrie est délicat en tant que fille d’immigrés syriens ayant eu toute sa vie un rapport proche à son pays d’origine. Depuis 2011, nous “syriens d’origine” (dirons nous pour simplifier et englober des réalités diverses) sommes naturellement questionnés sur le sujet au quotidien. Parfois à travers des échanges assez durs, qui révèlent un fossé d’incompréhensions opposant grilles de lecture bien différentes entre nous et nos différents interlocuteurs: d’aucuns estimaient que leurs convictions anti-impérialistes souvent manichéennes exigeaient forcément un soutien à Assad, d’autres ne se sont intéressés au conflit qu’à partir du moment et dans la mesure où est apparue une menace terroriste pesant sur l’Occident et amplifiée par les médias, tandis que d’autres encore voient dans l’afflux de réfugiés seulement une nouvelle occasion de déplorer le déclin du souverainisme des Etats. Cette posture en tant que personnes “de référence” qui nous a peu à peu été attribuée sur les questions syriennes au sein de nos entourages respectifs, proches ou étendus, nous a laissé croire que nos opinions exprimées sur le sujet étaient systématiquement bien-fondées et légitimes. Cela semble a priori évident: nos parents sont nés et ont vécu une grande voire la majeure partie de leur vie en Syrie, certains d’entre nous y ont même également vécu, pour nous tous en tous cas, la Syrie était une terre d’origine et un berceau familial et familier.


Ma perception personnelle récente va pourtant à l’inverse de ce postulat. Elle se mêle avec confusion à une profonde sensation d’impuissance générale face à ce que j’observe, comme des milliards d’autres êtres humains, se dérouler devant mes yeux.


Tout d’abord et comme pourra en attester tout enfant d’immigré de quelque “pays du Sud”, vivre et grandir dans un pays occidental développé est un privilège qui crée automatiquement un décalage à mesurer en années lumières, entre l’expérience de vie de l’individu en question et celle de l’Autre, le cousin qui a vécu et grandi “au bled” (mot affreux). Peu importe que la culture, l’éducation et les valeurs inculquées, la religion aient été identiques, ce décalage existe indéniablement. On peut le détester, lutter contre jusqu’à en faire une crise d’identité… Il existera toujours.


A partir de là, j’ai pu m’exprimer à la première personne dès le départ sur le conflit syrien, pas simplement pour partager un avis ce qui est le droit naturel de chacun, mais en pensant réellement et précisément avoir raison et être légitime du fait de mes origines. Or, c’est une première méprise qu’il faut reconnaître: s’il existe un écart entre grandir en Occident avec des origines syriennes et grandir en Syrie, alors il existe un gouffre entre percevoir le conflit depuis l’Occident avec des origines syriennes et vivre le conflit en Syrie.


Jusqu’à peu, j’étais pourtant parvenue, en essayant de réfléchir davantage avant de m’exprimer, à naviguer prudemment le long de ce gouffre.


L’ampleur prise par la crise des réfugiés contraints à quitter leur pays pour l’Europe au péril de leur vie a changé la donne. Cette crise a certainement sonné une nouvelle ère tragique dans la crise syrienne générale. A un niveau plus personnel, la crise des réfugiés marque aussi le point où la distorsion évoquée plus haut atteint son paroxysme. En écoutant ces histoires, en regardant ces visages, je crois voir se refléter ma propre image un instant, puis ma vision se fait plus nette: cette immigration qui est en fait un exil en tant que réfugié de guerre me renvoie à ce fossé énorme et à cette position privilégiée, celle d’une fille d’immigrés syriens ayant paisiblement grandi dans la sécurité d’un pays européen. Position qui certes permet de mieux appréhender les événements, mieux les comprendre peut-être… Mais pas de réellement savoir.


Par ailleurs, je trouve aussi intéressant de voir comme la boucle semble être bouclée (du moins jusqu’à la prochaine fois où elle sera ouverte). La première génération d’immigrés syriens a ainsi élu domicile dans des pays occidentaux offrant de meilleures opportunités d’avenir, il y a quelques décennies. Cette vague a été communément qualifiée de fuite des cerveaux, et l’immense majorité des concernés n’est pas retournée à la terre mère. Puis aujourd’hui, une autre immigration syrienne survient, s’expliquant cette fois par la guerre mais fondamentalement motivée par les mêmes aspirations. Cela n’en dit-il pas long sur les dysfonctionnements profonds de la Syrie vis-à-vis de ses citoyens? Comme si à travers l’histoire, ce pays ne parvenait décidément pas à protéger et retenir ses habitants, nourrissant ainsi chez eux un rapport d’amour/haine, où ils sont profondément attachés à leur terre d’origine et souffrent de la séparation, mais voient cette dernière comme une alternative vitale.


Le fil rouge de cet article, c’est tout simplement je crois, d’admettre que je n’ai pas forcément raison. Qu’il m’arrive certainement d’avoir même un discours contre-productif en pensant à tort être si légitime et connaisseuse. Que je ne sais pas. Et si la meilleure chose à faire lorsqu’on ne sait pas est de se taire, alors sûrement devrions-nous tous apprendre à faire silence par moments, et laisser s’exprimer les principaux intéressés, dont on masque parfois les voix alors qu’on croit parler pour eux. Je vois tous les jours certaines personnes (journalistes ou non) faire cela de manière admirable, et c’est aussi ce que j’essaierai de continuer à faire sur ce blog à mon tout petit niveau.


Quant à ce sentiment d’impuissance que tant d’entre nous ressentent, peut-être qu’une des réponses se trouve aussi dans cette démarche. Contribuer en donnant matériellement, oui, mais aussi en permettant aux voix multiples des syriens, par quelques moyens que ce soit, de s’élever.


L’image de l’article vient de cette vidéo


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