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  • Photo du rédacteurLeïla

"Dossier César" : retour sur le photographe qui a exfiltré les preuves de crimes de guerre en Syrie

Dernière mise à jour : 16 mai 2020


Les photographies de "César" exposées au siège des Nations Unies à New York, 2015. Source: Lucas Jackson/Reuters


Les sinistres chiffres de la guerre en Syrie sont régulièrement rappelés : le conflit a fait 500 000 morts depuis 2011 (source : Syrian Observatory for Human Rights), 12 millions de syriens ont dû quitter leur foyer, et parmi eux plus de 6 millions ont cherché refuge dans un autre pays. Les syriens représentent ainsi ⅓ de la population totale de réfugiés dans le monde (source : Nations Unies).

Pourtant, la possibilité matérielle de crimes de guerre d’une telle ampleur reste difficile à appréhender : comment s’organise le massacre et la torture de masse sur un peuple par son propre régime dirigeant au 20ème siècle ?


Afin de tenter de comprendre cette machine de guerre, mais aussi (car c’est hélas nécessaire) pour répondre de manière glacialement précise aux conspirationnistes de toutes sortes, le travail abattu par César est plus que jamais précieux.


“Le régime a considéré l'inaction de la communauté internationale comme un feu vert pour poursuivre ses crimes contre le peuple syrien”


Vous connaissez peut-être déjà l’histoire de ce photographe légiste de la police militaire syrienne. Spécialisé en forensics (police scientifique), sa mission consistait notamment à photographier les scènes de crimes impliquant l’armée. C’est ainsi que dès 2011, il doit photographier, pour l’administration du régime, les cadavres des civils et des détenus morts de torture dans la province de Damas.

Horrifié par les exactions dont il est le témoin direct, il veut agir. Commence alors un minutieux travail clandestin. Il se met à copier sur clés USB chacun de ses clichés ainsi que ceux de son service, quotidiennement, et pendant 2 ans. En 2013, les soupçons commencent à peser sur lui. Il fait désertion et fuit la Syrie, emportant avec lui plus de 45 000 photos numériques.

S’en est suivi un processus de vérification et de médiatisation globale de ce qui deviendra le “dossier César”, pseudonyme qu’il prendra pour préserver son anonymat et surtout la sécurité de ses proches restés en Syrie.


Aujourd’hui, ces documents ont été authentifiés par les plus hautes instances de justice internationale, sont reconnus par de nombreux pays y compris la diplomatie française, et servent comme pièce maîtresse aux Nations Unies dans leur mission de “facilitation des enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie depuis mars 2011.” Selon David Crane, ancien Procureur international à l’ONU, “ces images prouvent l'existence d'une industrie de la mise à mort jamais vue depuis l'Holocauste”.


César est réapparu dans l’actualité tout récemment : il a témoigné (toujours à visage masqué) le 11 mars 2020 devant la commission des affaires étrangères du Sénat américain. Depuis son départ de Syrie, César a en effet plaidé pour que les États-Unis adoptent la Caesar Syria Civilian Protection Act, une loi visant à imposer des sanctions aux entités faisant des affaires avec le gouvernement de Bachar Al-Assad. (Rappel d’un exemple bien français : Frédéric Chatillon, conseiller de Marine Le Pen, est depuis 2011 prestataire de services pour le régime syrien via son agence de communication Riwal).


Voici le témoignage que César a délivré devant le Sénat :

“Mon travail quotidien était marqué par la douleur et le chagrin en raison des scènes cruelles que je voyais chaque jour sur les corps des victimes, hommes, femmes et enfants. Les signes de torture étaient évidents sur leurs corps fragiles : brûlures, strangulation, flagellation à coups de câbles.”


“Les meurtres continuent de se multiplier aux mêmes endroits, de la même manière et aux mains des mêmes criminels. Et la raison est simple : le régime d'Assad a considéré l'inaction de la communauté internationale et les simples déclarations de condamnation comme un feu vert pour poursuivre ses crimes contre le peuple syrien.”


Une analyse corroborée par Raed Saleh, dirigeant de la Défense civile syrienne (communément appelée les Casques blancs), qui est même allé plus loin :

“Quand vous nous donnez plus d'argent, ce que vous nous dites, c'est que vous n'arrêterez pas les exactions et qu'au lieu de cela, nous devons acheter plus d'ambulances pour transporter plus de civils blessés, commander de nouvelles grues pour soulever le béton effondré écrasant des familles entières, et acheter plus de vêtements de protection pour faire face aux attaques chimiques.”


“Collecter des fonds pour soulager la souffrance ne fonctionne pas mieux que de donner des calmants à un patient atteint de cancer. Ce qu'il faut, c'est la volonté politique d'agir pour protéger les civils”


Au cours de cette audition spéciale, était également présent un jeune activiste syrien moins connu, Omar Alshogre, dont l’histoire si courageuse et singulière est riche d’enseignements.


“La détention a fait qui je suis aujourd'hui” : le témoignage de l'activiste syrien Omar Alshogre


Omar Alshogre a grandi au sein d'une grande famille, dans un village du nord de la Syrie. A 15 ans, il participe aux manifestations populaires dans les rues de Baniyas. C'est alors qu'il est arrêté et envoyé en prison politique.

Pendant 3 ans, il est transféré entre différentes prisons syriennes. Ses cousins meurent peu après leur arrivée dans l'une des prisons les plus redoutées du monde, Saydnaya. Pendant sa captivité, son père et deux de ses frères sont exécutés lors d'une attaque de l'armée contre leur village.

Sur le point de mourir de malnutrition et de tuberculose, il doit son salut à sa mère qui parvient à soudoyer un fonctionnaire de l'armée pour sa libération.


Il quitte alors la Syrie pour rejoindre la Suède, où il apprend le suédois, le norvégien et l'anglais. L’expérience qu’il a vécue l'amène à rencontrer la Maison Blanche, des membres du Congrès, et à donner plusieurs conférences, notamment à l'Université Brown.


En tant que survivant de la torture, il est un témoin clé dans plusieurs procès européens en cours contre des officiers du régime Assad réfugiés en France et en Allemagne. Aux côtés de César, Omar jouera aussi un rôle majeur dans les futures poursuites américaines visant à tenir le régime syrien responsable de ses détentions et exécutions de citoyens américains.


Son témoignage devant le Sénat rejoint ceux de César et de Raed Saleh : "Avant de penser à tenir Assad, la Russie ou l'Iran, responsables, nous devons les arrêter. Parce que la guerre continue en Syrie, les gens meurent chaque jour... La torture est illimitée, la famine est horrible, nous devons l'arrêter."


Les leçons qu'Omar Alshogre a tiré de son histoire sont profondément touchantes. Il parle du traumatisme comme d’une force pour avancer : “J'ai passé des nuits blanches, hanté par des cauchemars impensables. J'ai connu des choses que l'on ne veut pas connaître, des expériences que j’aimerais renier. Mais survivre est possible. Considérer la survie comme un défi, quelque chose qui doit être fait, se concentrer sur les meilleurs aspects de la vie — ça marche. C'est ce que j'ai appris à faire maintenant ! Je suis amoureux, j'aurai des enfants, je vivrai une vie heureuse, je continuerai. Malgré tout.”


 

Une question reste en tête : pourquoi le régime tenait-il à documenter par des photographies tous ces crimes ? Bachar Al Assad a nié, en janvier 2015 dans le magazine Foreign Affairs, toute véracité ou crédibilité de César et de son travail. Ce qui, pour tous, constitue des preuves de crimes de guerre avait évidemment une autre portée, une autre motivation pour le régime syrien. Quelle était-elle ? Difficile d’appréhender le raisonnement de ceux qui ont orchestré des crimes irrationnels.


Pour donner du sens à l’insensé, restent ces témoignages bouleversants, de personnages à la fois héroïques par leur courage, et si universels par leur humanité.


Quelques références pour aller plus loin :

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